
Chapitre 1 : Big Bang
Des chiffres et des lettres dans les étoiles
L’empereur, c’est moi commence avec l’auteur qui s’avère être également le narrateur du livre. Ce récit autobiographique nous plonge dans son enfance en tant qu’enfant autiste Asperger. Il se présente en tant que Julien Hugo Sylvestre, mais tout le monde l’appelle Julien. En lui cohabitent une sagesse presque inquiétante et des accès de colère incontrôlables, selon l’humeur du moment. Il ne parle à personne, sauf à son pire ennemi : Julien. « Je le hais. Je vais le tuer »
Les roues et moi
Toute la journée Julien tourne des roues, notamment les petites voitures, car il adore ça. Aujourd’hui, il sort avec sa famille et il se sent bien, car il y a un manège… qui tourne. Julien rêverait de sentir la terre tourner et de voir ce qui se trouve en son centre. Il enrage.
Sur la grande roue, il jubile, car il peut enfin tourner avec la terre. Il se pose des questions existentielles lorsque sa mère le prend par la main et la glisse sur la crinière du cheval en bois. « Je m’en fous du cheval en bois ! Ce n’est pas lui qui fait tourner le manège ! » Lorsqu’il lui faut retourner dans la poussette, il est déchiré, mais aussi subjugué d’avoir touché l’infini et l’éternité. « Un jour, j’y retournerai », pensa-t-il.
Le tracteur
Son père l’amène souvent sur le tracteur orange de la maison. Il fait beaucoup de bruit et les vibrations sont régulières, et ça tombe bien, car Julien aime que le rythme soit constant. Lorsqu’il n’est pas sur le tracteur, il imite son bruit avec sa bouche qui ne parle pas.
Les tuyaux
Le jeune enfant éprouve une fascination pour les tuyaux, qu’il aime écouter dans le calme absolu, lorsque tout est silence et immobilité. Le moindre excès de bruit, de lumière ou d’odeur rend cette écoute impossible.
Il s’interroge alors sur l’origine de chaque chose. D’où viennent tous ces tuyaux, ces conduits invisibles, qui peut-être convergent vers un unique et gigantesque canal, enfoui au cœur de la Terre ? Il pense aussi aux ruisseaux qui deviennent des rivières, lesquelles, à leur tour, forment des fleuves se jetant dans la mer, avant de se fondre finalement dans l’océan. Et soudain, un lien s’impose : celui entre ces circuits souterrains et les méandres intérieurs de notre corps. Les boyaux qui, eux aussi, se rejoignent au centre, dans le ventre, comme les tuyaux qui s’enfoncent dans la terre. D’ailleurs, les humains et la terre viennent tous de la même manière : de la poussière d’étoiles.
Julien ressent, lui aussi, le désir profond de revenir à l’origine, de se replier vers ce point central, le ventre de sa mère, comme un écho au centre de la Terre. Mais il sait que s’il lui ouvre le ventre, elle mourra et ça, il ne le souhaite pas. Il envisage alors d’autres solutions comme les puits, les grottes, les cathédrales, mais le risque est trop grand, ce sera alors le ventre de sa maman.
Pour éviter de la tuer en lui ouvrant le ventre, il envisage de redevenir infiniment petit. il mangera juste assez pour survivre, sans jamais mâcher, afin que ses dents disparaissent, comme celles des nouveau-nés. Puis, il évitera d’inhaler la moindre bouffée de fumée, de peur de se gonfler comme un ballon et d’éclater. Rester en apnée est donc une bonne idée. Ce plan doit rester secret, et personne d’autre que lui ne doit le savoir.
Vert carrelage brillant
Se dirigeant avec sa mère vers le jardin d’enfants, Julien passe en revue les carrelages, les couloirs, les portes, avec une attention presque maniaque. Il a surtout peur que le sol s’effondre, alors il se jette par terre afin de le sentir avec tout son corps et d’y appliquer tout son poids. Il voue aussi un intérêt particulier aux jouets situés dans le hall d’entrée : une berline, un 4X4 et un hélicoptère. Ceux-là sont bien plus intéressants que les jouets d’enfants.
Plus vite que la lumière ou Le jardin des cons
Julien déteste le jardin d’enfants, même s’il doit s’y rendre deux fois par semaine. Les nounous le forcent à parler, à manger et l’obligent à chanter « Ainsi font, font, font les petites marionnettes » en bougeant les mains, mais lui trouve ça ridicule. Finalement, la colère en lui s’exprime et il finit par parler : « Il est con ce jardin d’enfants ! Je ne veux plus y aller. » A partir de là, les nounous l’ont laissé tranquille et Julien tournait des roues toute la journée. « Alors je me concentre sur ce geste circulaire qui me propulse vers l’infini, loin des autres, loin de ce monde-là. »

Le téléphone rouge
Sa mère lui a offert un téléphone rouge. Il aime toujours ses cadeaux contrairement aux jouets de l’hôpital. Mais avec ce téléphone, il ne se sent pas tranquille parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. Lorsque le téléphone sonne, Julien décroche et dit « allo » à une certaine Sophie. Mais très vite, il comprend : c’était un piège, une blague montée par sa mère. Il regrette aussitôt d’avoir répondu. Ce simple mot l’a détourné de sa véritable destination : le ventre de sa mère. Désormais, il sera plus vigilant.
Le ventre de maman
Sa maman s’apprête à accueillir une petite fille : Hermine. Avec l’aide de Rebecca, son autre fille qui étudie aux Beaux-Arts, elle repeint les plafonds de la salle de bain. Rebecca a souvent le regard triste. Julien aimerait la faire rire, mais il s’en sent incapable, car il est convaincu de venir des profondeurs d’un monde perdu qu’il ne retrouvera jamais.
Julien attend avec impatience l’arrivée de sa petite sœur, il s’entraîne d’ailleurs jour et nuit avec un baigneur. Mais il comprend aussi que le ventre de sa mère n’est plus un refuge pour lui. Hermine arrive deux mois plus tôt que prévu et Julien assimile la couveuse à une cage de torture. « J’attendrai qu’elle soit sortie avant de casser la couveuse avec la hache de papa. »
Bienvenue, sans tambour ni trompette
C’est le grand jour, sa petite sœur est enfin à la maison. Julien jette son baigneur de l’escalier. « Elle peut compter sur moi. Je suis son grand frère. Je n’ai plus besoin de cette poupée en plastique. »
Mon arbre sur ma planète de sable
Julien a désormais 5 ans. Il est assis dans la cour de sa maison sur le tas de sable, et il est triste. Triste, car le saule pleureur va être décapité à cause de ses branches qui dépassent sur la route et gênent les camions des sablières.
Le sable le fascine. Il y creuse des galeries jusqu’à ce que ses mains se rejoignent au milieu. Curieux, il apprécie également les informations et suit de près avec passion l’avancée de la construction du tunnel sous la Manche. Chaque étape du chantier l’enthousiasme et Julien espère que les deux tunnels finissent par se rencontrer exactement au milieu, à parfaite distance entre les deux pays.
La guerre des maternelles
Julien est désormais en grande maternelle et il déteste l’école, la kermesse, « ses camarades » à qui il ne parle pas. Il se sent prisonnier de son corps et n’aime pas les règles imposées qui le détournent de ses pensées et de ses rêves. « Quitte à être prisonnier, je préfère être maître de ma cellule. Je suis le seul à avoir les clés et je ne vous donnerai pas les codes ».
Il exècre cette hiérarchie de cour de récré où les plus grands malmènent les moyens, qui à leur tour s’en prennent aux plus petits. Dans sa tête, il organise déjà la résistance : une alliance secrète avec les petits, soudée comme une armée, avec des grades, des règles, et des stratégies bien rodées. Ainsi, grâce à son plan d’action stratégique, il pourrait tendre des embuscades et éliminer l’ennemi. Seuls les moins bêtes finiraient par rallier leur cause.
À la tête de son armée, il se voit déjà triompher des CP, balayer les CE1, puis écraser les CE2 dans une victoire totale. Une fois la cour pacifiée, il s’en prendrait aux maîtres, prendrait le contrôle de l’école, puis, porté par son élan, deviendrait chef de la France, du monde et de l’univers tout entier.
« Je déteste les enfants, ainsi que leurs jeux violents et dénués de sens. Mon problème, c’est vous »
Coup de pied dans la tête
De retour au jardin d’enfants, Julien s’énerve quand la dame aux jouets nuls s’adresse à lui avec une voix débile, comme on le fait avec les enfants. Il met un coup de pied dans le château en plastique, car elle ne comprend rien. « Allez, viens maman, on s’en va » pensa-t-il.
La pomme
Julien est dans son bain et se sent bien dans ce monde ou tout n’est que reflet déformé et mouvant. Pendant ce temps-là, sa mère lui raconte l’histoire de Blanche-Neige endormie à jamais après avoir croqué dans la pomme de la sorcière.
Puis, elle sort une pomme de sa poche, croque dedans, et s’effondre sur le sol. Julien sort de la baignoire et tente par tous les moyens de la sauver. Il se sent seul, vraiment seul. Soudain, il ouvre sa bouche qui ne parle pas et dit : « Maman ? Maman ? » Ce qui la fait doucement revenir à elle. Elle lui dit que c’est grâce à lui si elle est vivante à nouveau.
« Aujourd’hui, j’ai ressuscité maman en disant son nom. »
Le dictateur et le diplomate
Julien a désormais 7 ans, et comme chaque été son cousin Pierre, plus jeune que lui d’un an, vient passer quelques jours à la maison. Il est très calme et Julien l’aime bien, même s’il aime montrer que c’est lui le chef.
D’autres fois, c’est lui qui va voir son cousin à Paris. Ses parents lui font visiter des lieux modernes et citadins qu’il ne connaissait pas. Pierre est l’ambassadeur du monde extérieur, il vit dans le futur. C’est son seul ami.
La merde en moi et moi dedans
Jusqu’à ses 11 ans, Julien aura peur de déféquer, car il est persuadé que cela va faire éclater ses poumons. « Plus d’alvéoles, plus de poumons. Plus de poumons, plus de respiration. Plus de respiration, plus de vie. » Il reste parfois plusieurs heures dans les toilettes, encouragé par sa mère à pousser.
Cette phobie le suivra jusqu’à ses 11 ans, lorsqu’il subira une occlusion intestinale en restant 11 jours sans déféquer. Cette hospitalisation lui fait un déclic, il n’a depuis plus jamais été constipé.
Tourterelle mon amour
Alors qu’il est en classe, Julien entend le roucoulement d’une tourterelle. Il rêve de sa liberté, de pouvoir voler dans de vastes espaces, sans contraintes ni dépendance, alors que lui se sent prisonnier dans le monde des autres. S’il devait se réincarner, il choisirait de l’être en tourterelle.
Après-shampoing
Julien se rend au coiffeur pour la première fois, à 5 ans. Il a toujours autant de mal à supporter son regard et à s’aimer, prisonnier de son propre corps. L’heure du changement est bientôt arrivé.
Il trouve un certain réconfort auprès de Soizic, la coiffeuse, qu’il trouve belle et qu’il n’ose pas regarder dans les yeux de peur de perdre le contrôle. « Pour la première fois depuis longtemps, je ne réfléchis plus. Elle est belle et je lui rends son sourire. Je regarde mon reflet. Je ne reconnais plus Julien. Merci Soizic pour cette libération. Sans t’en rendre compte, avec ta bouse bleue, tes ciseaux, tes mains et tes bagues, tu fus un court instant le médecin de mon âme »

Chapitre 2 : Des cendres et des ruines
Comment je suis mort à six ans
A six ans, Julien a enfin tué … Julien qu’il ne supportait plus. Il réclame un autre nom à sa mère. Désormais, il s’appellera Hugo.
L’empereur, c’est moi
Désormais au CP, Hugo comprend qu’il faut que les choses évoluent. Depuis la mort par décapitation du vulnérable Julien, il a fait de Hugo l’empereur suprême de son royaume. Le roi de son corps et de son esprit. Hugo sera assez fort pour parler aux autres, et pas uniquement aux personnes qu’il aime comme le faisait Julien. Il sait très bien que cela représente un effort surhumain, et une forme d’abdication. « Je suis obligé d’accepter ce monde qui n’est pas le mien. Je n’ai pas le choix, sinon Hugo finira aussi dans la terre noire. Il faut que j’ouvre la bouche. Je dois parler. »
Quand je rêve
À l’école, on le traite de « cerveau lent », mais lui se voit autrement : comme un grand rêveur, allergique aux cauchemars bien rangés qu’on veut lui imposer. Il refuse de se perdre dans les visions étroites des autres. Pour continuer à rêver librement, il lui faudra résister, se battre, tracer sa propre voie. C’est alors qu’une idée germe : raconter son histoire à travers des bandes dessinées, où il deviendrait le héros de sa propre légende. Il s’appellera Le Petit Dragon.
Des dragons aux humains aux vampires
Hugo est discipliné, mais il continue de détester l’école, avec ses exercices répétitifs qui se ressemblent tous. Ce qu’il veut, lui, c’est terminer ses bandes dessinées. Il les achevait autrefois, à l’époque où ses histoires étaient peuplées de dragons. Maintenant, il est en CP et écrit des histoires avec des humains, mais ne les finit jamais.
Pendant la récréation, il reste seul dans son coin, attendant que ça passe. Il ne comprend pas les autres élèves qui courent dans tous les sens, beuglant comme un troupeau de vaches.
Il se rêve en vampire, mort la journée pour éviter la chienlit quotidienne et vivant le soir pour fêter toute la nuit les retrouvailles avec les siens.
Hugo vs Julien
Julien n’est pas encore totalement mort. Il tente régulièrement d’entraîner Hugo dans sa tombe. Mais il résiste et se dit prêt à livrer la bataille autant de fois qu’il le faudra, même si cela signifie descendre dans les ténèbres pour l’y combattre.
La petite fille, l’arbitraire et moi
À 7 ans, Hugo découvre les joies du vélo sans pédales, une première bouffée de liberté grisante. Un jour, au parc de la Colombière à Dijon, alors qu’il est avec sa mère et sa petite sœur, une impulsion étrange le traverse. Sans prévenir, il fonce à toute vitesse sur son vélo et percute violemment une petite fille.
Une autre fois, il a délibérément fait une queue de poisson à sa mère en la dépassant. Elle en a porté des cicatrices pendant plusieurs semaines. « Ces deux expériences m’ont traumatisé à un tel point que je n’ai jamais pu passer le permis de conduire. Un jour, peut-être… »
Attention : danger public !
Il est maintenant en CE1, et il ne supporte pas son institutrice, surtout sa voix stridente qui lui perce les oreilles à chaque mot. Tout comme l’énoncé abscons des devoirs qu’elle donne à faire à la maison. Un soir, même son père, grand cancérologue et éminent professeur de médecine, ne comprend pas l’énoncé. Il écrit alors un mot à l’institutrice lui expliquant la raison pour laquelle le devoir ne sera pas effectué.
Hugo, qui est un élève moyen, distrait, mais à la conduite irréprochable, n’a pas envie d’être puni. Le lendemain matin à 9 heures, c’est l’inspection générale. Personne ne semble avoir compris l’exercice, et l’institutrice fait valdinguer les cahiers à la figure des élèves. Lorsque vient le tour de Hugo, elle entre dans une colère noire en découvrant le mot laissé par son père. « Je suis officiellement le souffre-douleur de Mme C. »
Heureusement, quelques jours après, Hugo intègre une autre école avec une classe unique pour le restant de l’année. Mme C, quant à elle, partait en congé maladie pour dépression nerveuse.

Chapitre 3 : les années noires
De la résistance à la collaboration
Hugo a 11 ans et il est maintenant en 6ème. Pour aller au collège, il prend chaque jour le bus ou il est victime d’un petit groupe de tortionnaires. « Un petit groupe dominant m’a clairement identifié comme étant « le mec un peu bizarre », celui qui n’est pas dans le moule, celui qui ne se soumet pas à leur loi, celui qui affronte leur regard, celui qui ne s’écrase pas devant leur petite milice. En somme : l’homme à abattre. »
Deux fois par jour : aller et retour, il subit sa séance de torture quotidienne. Gifles, insultes, crachat, pichenettes dans l’oreille, etc. Mais contrairement aux autres, Hugo ne baisse jamais les yeux. Il garde la tête haute en les fusillant du regard. Il évite de se battre, car s’il le fait, c’est pour tuer.
Un soir, saoulé de tout ça, il décide d’écrire au président de la République pour lui faire part de l’état déplorable et de la violence qui règne dans les transports scolaires. Lorsqu’il montre la missive à sa mère, celle-ci opte pour une autre solution : appeler le meneur de la bande pour lui dire de cesser son harcèlement.
Les coups et les insultes laissent place aux messes basses et aux regards chargés de haine. On l’appelle désormais « Monsieur Horiot », avec une ironie cinglante. On le traite de fayot, de mouchard, de rapporteur, parce qu’il a donné des noms. « Je me déteste encore plus et je ne supporte pas cette nouvelle étiquette collée sur mon front. Marqué au fer rouge. C’est vrai : maintenant, je suis un collabo. Et moi qui voulais être un résistant… »
Discrimination positive
Un jour, lors d’un contrôle de routine en français, Julien obtient la note de 2/20. Toute note inférieure à 5/20 est synonyme de deux heures de colle le mercredi après-midi. Pour lui, qui n’a jamais été collé grâce à son comportement irréprochable et à ses efforts pour maintenir tout juste la moyenne, c’est une première.
Mais au moment de lire la liste des élèves punis, le professeur énonce tous les noms… sauf le sien. Sur le moment, Julien ressent un immense soulagement. Pourtant, avec le recul, il ne lui en est pas reconnaissant. Il est convaincu que le professeur a simplement eu pitié de lui, et pour Julien, la pitié est le sentiment le plus humiliant qui soit. Il se hait de plus en plus.
La mangeoire aux cochons
Dans ce chapitre, Hugo décrit le réfectoire comme une véritable mangeoire à cochons, où une foule humaine, agitée et bruyante, réclame sa pitance dans un vacarme presque bestial, soumise à la contrainte mécanique de pointer avant de manger.
Lames de rasoir dans ma bouche
Hugo fait le décompte, il lui reste 3 ans à tirer avant d’en finir avec le collège. Dans ce lieu ou les autres élèves parlent le langage grossier, lui s’efforce d’avoir un langage soutenu afin de ne pas être asservi au moule de la médiocrité. « Puisque je suis incapable de me défendre par les coups, je vais donc combattre par le langage. Les mots qui sortiront de ma bouche seront mon arme. Une arme redoutable. Ce sont eux qui me sauveront. Ce sont eux qui tueront. Parler pour tuer. »
Cette attitude est mal perçue par le corps enseignant : la professeure de français convoque sa mère dans l’espoir de mettre un terme à ses simagrées, tandis que celle de latin le qualifie ouvertement de petit prétentieux. Mais Hugo reste bien décidé à relever le niveau.
Odile
Julien a désormais douze ans et il est en 5ème. Il fantasme sur Odile, une belle surveillante blonde d’une trentaine d’années à qui il aime se confier. Odile s’en ira comme un songe. L’année prochaine, elle ne sera plus là.
Moi et la politique
Nous sommes en septembre 1995 et Hugo brigue un poste de délégué de classe. Il se dit que pour être accepté des autres, il va devoir être un menteur hors pair. Il s’inspire alors des plus grands maîtres du genre : les candidats à l’élection présidentielle. Parmi eux, Jacques Chirac, selon lui le plus habile et le plus audacieux des menteurs, finira par l’emporter.
Fort de sa confiance et persuadé d’avoir éclipsé ses quatre adversaires, qu’il juge pitoyables et sans panache, Julien remporte l’élection haut la main avec 70 % des voix. Pourtant, il ne mènera pas son mandat à terme : sa mère le retire du collège en cours d’année. Il aura néanmoins acquis une précieuse compétence, celle de l’art de la communication.

Chapitre 4 : Le théâtre et la transgression
Le géant du cinéma
En attendant sa réaffectation dans un nouvel établissement, Hugo savoure des vacances imprévues, rythmées par des parties d’échecs et de longues promenades en forêt.
Depuis l’âge de huit ans, il croise de temps à autre la route de « Sacha le géant », un redoutable adversaire aux échecs. Aujourd’hui, il a 13 ans et Sacha 14, ainsi que 30 centimètres en plus. Leurs parents respectifs discutent, il est question qu’il intègre le même établissement scolaire que Sacha l’an prochain. Établissement avec des effectifs réduits à la raison d’une classe par niveau.
Mais il n’y a pas que ça. Ce jour-là Sasha qui étudie en classe le prix Goncourt des lycéens « Le petit cannibale » propose à Hugo de devenir le héros principal de son documentaire, qu’il appellera « Hugo parle de Sylvestre ». Une manière singulière de se démarquer des exposés classiques.
De ce film naîtront une profonde amitié et une nouvelle passion débordante, celle de tourner de nombreux films avec ses joyeux compagnons.
Vide à l’intérieur, lisse à l’extérieur ou Le looser que l’on prenait pour un caïd
Hugo est désormais au lycée et se sent terriblement vide et insignifiant. Il est devenu ce qu’il abhorrait autrefois : un pion macérant dans la masse.
Le seul endroit où il reprend vie, c’est sur scène ou il pratique le théâtre deux heures par semaine. A cet âge, il découvre l’alcool et les joints, comme des raccourcis pour faire passer le temps, pour anesthésier le réel. Et maintenant qu’il est inscrit – en auditeur libre – à la classe d’art dramatique du conservatoire régional, il signe des billets d’absence pour se réfugier au théâtre.
A la fin de sa première et après avoir redoublé la seconde, Julien est convoqué avec ses parents dans le bureau de la proviseure pour lui expliquer qu’il est renvoyé. Elle l’accuse de « délinquance froide » et d’avoir monté un réseau de trafic de stupéfiants au sein du lycée, le tout sans la moindre preuve. Basé uniquement sur une dénonciation anonyme.
C’est un soulagement pour lui « Quoi que j’ai pu faire, c’était dans un seul et unique but : vous quitter, et par la grande porte. Ce but est enfin atteint : je suis viré. La vie peut reprendre ses droits. »
On s’est rencontrés là
C’est au Théâtre du Jour, à Agen, qu’il a été admis, suite à son entretien une semaine plus tôt. C’est ici que débute sa carrière de comédien.
Le comment du pourquoi
Hugo se questionne sur le fait que beaucoup de comédiens se demandent pourquoi, mais négligent la question du comment. « Dans une pièce de théâtre, il importe que les comédiens soient d’accord sur la question du comment. C’est ce qui forme une vision cohérente et collective du spectacle. En revanche, chacun aura une vision différente du pourquoi, ce qui est du domaine de l’interprétation. »
Il lui serait impossible, pour sa part, de collaborer avec un metteur en scène qui chercherait à lui justifier le sens de son rôle ou de ses gestes. Il vivrait cela comme une atteinte à sa liberté d’interprétation.
Epilogue
Dans l’épilogue, Hugo affirme que Julien est définitivement mort. Il n’a surgi que le temps d’un livre, une dernière fois, avant de s’endormir pour de bon, en paix.
Postface (par Françoise Lefèvre)
Mon enfant des abîmes
Trente ans se sont écoulés et c’est maintenant sa mère, écrivaine de métier, qui lit l’œuvre de son fils. Émue jusqu’aux larmes, elle comprend à quel point il a dû prendre le contrôle d’une armée et se construire une véritable forteresse pour affronter un monde qu’il refusait. Épuisée par ses colères démentielles, elle a puisé en elle des ressources qu’elle ne soupçonnait pas pour se battre à ses côtés. Refusant de le soustraire aux institutions dites « spécialisées ».
On apprend que c’est elle l’autrice du livre « Le Petit Prince cannibale » (1990), que j’ai évoqué préalablement. Cet ouvrage, qui relaie leur histoire, a trouvé une très large audience et a contribué à changer le regard sur l’autisme infantile. Mais il a aussi beaucoup de détracteurs, parmi lesquels des soignants, psychanalystes, associations de parents d’autistes…
30 ans plus tard, presque rien a changé. Elle tance les prises en charge inutiles, uniquement fondées sur la psychanalyse, et d’autres pratiques humiliantes, quand elles ne sont pas brutales. De nouvelles méthodes d’éducation intensives ou dites « cognitives » venues d’autres pays semblent toutefois apporter de bien meilleurs résultats.
Françoise Lefèvre revient également sur un moment bouleversant de sa vie, lorsque son fils de six ans exige qu’elle lui donne un autre prénom, parce qu’il voulait retourner dans son ventre. Cette phrase est, selon elle, un effrayant cadeau. Elle comprend alors le refus de Julien d’être venu au monde. Pour qu’Hugo puisse évoluer dans ce monde, mère et fils devaient faire le deuil de Julien à tout jamais.
Conclusion
Le livre se conclut ainsi : « A l’âge de six ans tu m’as dis « quand je rêve, je bloque une image et j’entre dans mon rêve. Alors je suis libre. » Aujourd’hui, c’est toi qui crées des images. Tu es réalisateur. Comédien. Ecrivain. Bonne route Hugo ! J’ai adoré être ta mère. »
Voir l’article précédent : (Réussite maximum – Max Piccinini)