Chapitre 1 : Le président et le journaliste
Le sourire de Mandela nous narrre l’histoire de cet homme condamné à la prison à vie en 1964 pour sabotage et conspiration contre le gouvernement. C’était pourtant bien lui qui près de 30 ans plus tard accueillait en tant que chef d’état John Carlin pour une interview d’une heure. Cela faisait moins d’un mois qu’il exerçait les fonctions de président de l’Afrique du Sud, il avait 76 ans.
L’auteur qui avait déjà interviewé plusieurs fois Nelson Mandela depuis son arrivée en Afrique du Sud en 1989 était toutefois intimidé car il était désormais un président, probablement le plus admiré de l’histoire. C’est dans les bâtiments de l’union qu’il le rencontra, ces mêmes bâtiments qui avaient été le siège du pouvoir raciste blanc durant 84 ans. Les règles de l’apartheid avaient été mises en œuvre en ces lieux et les chefs des Afrikaners (Tribu dominante blanche) avaient promulgué des lois interdisant à 85% de la population noire-africaine de voter.
Tous les lieux publics avaient été ségrégués et les séditieux noirs qui osaient la rébellion se faisaient systématiquement tabassés, torturés, mis en prison sans procès et parfois même assassinés. Leurs dirigeants comme Mandela étaient condamnaient à l’exil.
C’était un homme à la foi chaleureux et très accessible tout en abordant une certaine attitude royale, il se souvenait du prénom de l’auteur qui est un signe de reconnaissance des grands leaders comme l’évoquait Dale Carnegie dans le Best Seller « Comment se faire des amis ? ». Il avait également un très grand sens de l’autodérision, lorsque John Carlin rétorquait qu’il n’avait pas travaillait aussi dur que monsieur Mandela pour préparer cette interview, celui-ci lui répondait « Ah oui, mais vous n’avez pas passé plusieurs années de farniente sur une île, comme moi. » C’était une façon qu’il avait pour se se mettre au même niveau que les autres.
Nelson Manda avait été éduqué par des missionnaires Anglais et il connaissait plus l’histoire de la Grande-Bretagne que celle de l’Afrique du Sud et de sa propre tribu. Son prénom est d’ailleurs un hommage à l’Amiral Nelson qui s’est illustré pendant les guerres de la Révolution Française et Napoléoniennes notamment à la bataille de Trafalgar.
Dès le début de l’interview il annonça son intention de quitter ses fonctions présidentielles à la fin de son premier mandat de 5 ans en étant bien conscient de l’âge avancé qu’il aurait d’ici là. Une nouvelle leçon d’humilité lorsqu’on sait que certains chefs d’état s’accrochent coûte que coûte à leur place. Son rôle serait davantage ancré dans la consolidation symbolique de l’unité retrouvée de son pays.
A l’instar de Georges Washington considéré comme l’un des pères fondateurs des États-Unis, Nelson Mandela était l’homme providentiel son pays en étant le fer de lance de la Révolution pacifique d’Afrique du Sud. Il a réussi à la fois à calmer ses opposants dont le gouvernement de l’apartheid, à séduire la presse, son peuple et ses collaborateurs et à entamer une réconciliation de ses compatriotes noirs et blancs.
Chapitre 2 : Les grandes expériences
Avant sa libération le 11 février 1990, le monde entier connaissait Mandela depuis une décennie mais personne ou presque ne connaissait son visage et sa personnalité. Au sein de la classe politique, on estimait que la libération de Mandela allait faciliter une nouvelle ère de négociations dont le terme serait l’abolition de l’apartheid et l’instauration d’un nouvel ordre démocratique. Mais au sommet de la hiérarchie du gouvernement et de l’ANC (Congrès national Africain), on craignait que Mandela ne déstabilise tout le processus avant même qu’il soit initié.
Pour ceux qui couvraient l’évènement cette journée était chaotique. Entre les nombreux retards causés par l’entourage de Mandela, le manque de crédibilité de l’ANC (Parti politique qu’il a rejoint en 1943 pour défendre les intérêts de la majorité noire contre la minorité blanche) ainsi que son premier discours récité, insipide et soporifique, cette prise de parole avait déçu tout le monde. Il faut dire que Mandela n’avait pas prononcé de discours en public depuis 1964 au moment de son procès lorsqu’il risquait la peine capitale.
Autant dire qu’à ce moment là beaucoup de doutes subsistaient quant à la légitimité de Mandela de devenir le deus ex machina de toute une nation. Du haut de ses 71 ans et après presque 30 ans de captivité il semblait fort probable que Mandela soit désormais trop vieux, trop désorienté, trop éloigné des réalités du monde moderne pour exercer une véritable influence sur la politique de son pays.
Le lendemain, le 12 Février, avait lieu une conférence de presse réunissant certains des journalistes les plus chevronnés et les plus intraitables de la planète. Une manière de mettre à rude épreuve ses qualités de Leadership et de confirmer ou non la première impression de la veille.
Ce fût un véritable exercice de séduction réussie. Il s’excusa tout d’abord solennellement au nom de lui-même et de son équipe pour le report de cette conférence de presse qui aurait du avoir lieu le jour précédent. Il remercia ensuite les médias du monde entier pour avoir préservé la mémoire des militants incarcérés et salua avec un grand respect la demi-douzaines de journalistes Sud-Africains présents y compris ceux appartenant au « camp ennemi ».
Le plus grand défi de Mandela était de convaincre le régime d’abandonner le pouvoir sans combat. Il était pourtant un fervent défenseur de la branche armée de l’ANC mais elle était pour lui uniquement une stratégie de défense contre la violence de l’apartheid.
Avant son arrestation, Mandela était un leader rebelle et belliqueux chef de la branche armée du mouvement. Il souhaitait imiter les héros révolutionnaires tels que Fidel Castro ou Che Guevara mais ses années en prison l’ont assagi et l’ont rendu plus lucide. Face à la puissance de feu de la police et de l’armée Sud-africaines il n’y avait de toute façon guère chance de succès. Dans son stratagème de conciliation il dépeint d’ailleurs De Klerk, le président en place et grand défenseur de l’Apartheid, comme étant un homme intègre.
En déclarant qu’il ne ressentait pas d’amertume, il permettait ainsi d’apaiser les inquiétudes de la population blanche et de faire passer le message que la vengeance n’était pas à l’ordre du jour. Un message qui était destiné aussi à ses propres partisans.
Désormais, son pouvoir serait manifeste. Balayant tous les doutes à son sujet, sa première conférence de presse d’homme libre était un véritable tour de force, une leçon magistrale de rhétorique politique. Car il parlait désormais avec sa propre voix au lieu de réciter un script tout préparé.
Chapitre 3 : Nelson et Cléopâtre
John Carlin rendait visite à sa femme Winnie Mandela, deux semaines avant la libération de son mari. Elle vivait à la périphérie de Johannesburg dans un Township « chic » qui avait été conçu par les planificateurs urbains du régime d’apartheid et reproduit dans toutes les agglomérations accueillant une population noire. Cette urbanisation privée était le summum du luxe des quelques familles de noires ayant réussi à se frayer un chemin dans la classe moyenne. Pour les blancs c’était simplement la norme.
L’auteur fût reçu par Zindzi, 29 ans, la 2ème fille de Winnie qui l’accueillait courtoisement comme un vieil ami. Après une longue attente Winnie arrivait majestueusement vêtue d’une robe traditionnelle de satin, telle une Cléopâtre Sud-africaine. Durant les années 1970 et 1980 elle avait été persécutée par les agents du régime d’apartheid et avait passé plus d’un an à l’isolement carcéral.
Elle était à l’image de son mari, des paroles sages, un vrai charisme et une confiance en soi débordante. Winnie était tout pour lui et lorsqu’il annonçait leur séparation publiquement c’était pour lui rendre un vibrant hommage. Il était dans un état de profond désarroi, abattu mais il trouva quand même la force d’annoncer la fin de son mariage de vive voix car comme il le disait lui-même, sa vie appartient à la nation toute entière
Les deux tourtereaux n’ont jamais vraiment cohabité ensemble et Mandela pris par ses activités à l’époque n’était même pas là pour la naissance de leurs deux enfants. Difficile donc pour elle de chérir ce genre de moments. Winnie a d’ailleurs eu de nombreux amants durant son emprisonnement dont une qui s’est poursuivit après la libération de Madiba. Elle souffrait en plus d’alcoolisme si bien que pour toutes ces raisons, le sujet du couple était devenu tabou au sein même de l’ANC.
C’est d’ailleurs une lettre de Winnie envoyait à son amant de 30 ans son cadet, et rendue public, qui mis le feu au poudre. Ce dernier l’a trompé avec d’autres femmes ce qui la rendait folle de rage et lui fît employée des mots très crus. Devant une telle humiliation et afin de protéger son image public, il était dans l’obligation de déclarer lui-même la dissolution de son mariage.
Mandela s’en voulait d’avoir priorisé sa cause à sa famille. Ce qui lui valu son premier divorce et en quelque sorte son second avec Winnie mais également ses relations tendues avec ses enfants jusqu’à la fin de sa vie.
Chapitre 4 : A la conquête des noirs
Suite à la sortie de prison de Mandela il y eut une escalade de violence comme il n’y en avait pas eu durant les cinq décennies précédentes. Il était de son devoir d’endiguer tout ça en incitant son peuple à suivre son exemple et à ne pas céder à la provocation.
L’auteur est parti interviewer Blatina Radebe, la mère d’un adolescent noir de 17 ans ans tué par des noirs et incités par leur chef noir à lutter pour l’apartheid. Il s’agissait d’une organisation d’extrême droite très hostile à l’ANC nommée Inkatha qui craignait d’avoir plus à perdre qu’à gagner si les noirs obtenaient le droit de vote.
Elle partageait donc des points communs avec l’extrême droite du pouvoir blanc et leurs membres étaient consternés d’apprendre que le président De Klerk souhaiter libérer Mandela et négocier avec l’ANC. Leur but était donc de répandre la terreur. Simon, le jeune de 17 ans, et son ami Aubrey ont péri mais leurs deux autres camarades Soli et Llewellyn ont eux survécu bien que blessés par balle.
John Carlin leur rendait visite et apprenait qu’ils avaient été pris pour cible car ils sont nés dans le Township et d’après eux, tous ceux qui sont nés dans le Township sont de l’ANC. Ils furent retenus prisonniers dans l’hostel pendant toute la journée et à la tombée de la nuit ils ont été alignés sur l’asphalte comme pour le départ d’une course à pied, ils ont alors couru et se sont fait tirer dessus. Certains s’en sont sortis, d’autres non. Avant cet évènement malheureux Soli et Llewellyn n’étaient pas membres de l’ANC, comble de l’ironie ils souhaitaient désormais le devenir et étaient assoiffés de vengeance. John Carlin ne les a jamais revu après ça.
C’était toujours le même mode opératoire, les résidents Zoulous d’un Hostel attaquaient les jeunes du quartier qu’ils soupçonnaient d’être de l’ANC et les survivants juraient de se venger. Mandela était donc sur la corde raide et devait chercher à atténuer les colères – notamment dans les Township – ce qui n’était pas une sinécure.
Il existait un troisième groupuscule moins visible mais tout aussi violent. Ces sympathisants d’extrême droite ont formé une alliance avec Buthelezi. À partir de la libération de Nelson Mandela en 1990, Buthelezi tente d’apparaître comme la personnalité incontournable permettant d’éviter la guerre civile à toute l’Afrique du Sud. Son but est officiellement de sauvegarder la spécificité zouloue du Natal et plus particulièrement ses privilèges en revendiquant la constitution d’un état zoulou indépendant en Afrique du Sud. Il bénéficie de l’appui des services secrets et de certaines personnalités du gouvernement très hostiles à l’ANC
Buthelezi voulait effacer Mandela et être érigé en héros. Il avait le soutien des milieux conservateurs étrangers ainsi que celui des blancs sud-africains mais aux yeux des noirs il était le pantin monstrueux de l’apartheid. C’était quelqu’un de dérangé qui a commis une ignoble trahison.
Chapitre 5 : Les jusqu’au-boutistes
Après avoir contenu la guerre dans les Township et triomphé du régime d’apartheid, l’épreuve qui se profilait désormais devant lui c’était les « Jusqu’au-boutistes », à savoir le noyau dur de la droite Afrikaner armés jusqu’aux dents et avides de combattre. C’était les derniers que Mandela aurait à vaincre et il le savait pertinemment.
Le 6 Mai 1993 a Potchefstroom, berceau de la branche la plus raciste du christianisme Afrikaner les forces disparates de l’extrême droite sud-africaine émergèrent de leurs cavernes et décidèrent de faire cause commune contre Mandela.
Ils étaient 15 000 à défiler à travers la ville armés jusqu’aux dents et vêtus de chemises brunes portant la croix gammée. Leur leader le plus connu s’appelait Eugene Terreblanche, dirigeant de l’AWB, le mouvement de résistance Afrikaner. Ses adeptes étaient convaincus de la supériorité des blancs sur les noirs et avaient tous fait leur service militaire. il y avait plusieurs organisations présentes aux côté de l’AWB dont le mouvement de résistance Boer et la branche sud-africaine du Klu Klux Klan.
Les noirs avaient leur leader, les blancs devaient donc avoir le leur, c’est ainsi que le général aguerri Constand Viljoen fût choisi. Terreblanche devenait son caporal. Ce nouveau mouvement unifié se faisait baptiser Afrikaner Volksfront. Durant son discours Viljoen haranguait ses fidèles tous acquis à sa cause et leur jura de les guider vers le chemin de la terre promise, à savoir un territoire pour les blancs qu’il décrivit comme « Un Israël pour les Afrikaners ».
Viljoen avait mis en place des cellules clandestines de recrutement aux 4 coincs du pays à l’instar de Mandela et ses hommes en 1960. Les deux hommes se considéraient mutuellement comme des terroristes. Le chef de l’ANC aurait très bien pu arrêter Viljoen pour tentative d’insurrection armée contre l’état mais il savait également que cela aurait pu avoir pour effet une mutinerie. Il opta donc pour le pacifisme en invitant le Général Viljoen à s’asseoir autour d’une table et à discuter.
13 ans plus tard ce fût autour de l’auteur de rencontrer en personne Viljoen alors qu’il était en plein milieu de ses vacances. Lui était courtois et sa femme était aussi charmante qu’amicale. John Carlin avait gardé de lui l’image d’un dangereux fanatique. Il me racontait qu’il avait rencontrait Mandela à son domicile en Septembre 1993 avec trois autres de ses généraux à la retraite, formant à eux quatre la direction du Voksfront au complet.
Il avait du mal à dissimuler sa stupéfaction face au comportement courtois et chaleureux de Mandela. Lors de leur discussion plus politique Mandela insista sur le fait qu’un conflit entre les deux groupes politiques entrainerait à coup sûr la paix des cimetières. Viljoen approuva. Il lui expliquait que malgré les souffrances que les Afrikaners ont fait endurer à son peuple il éprouvait pour eux une véritable estime liée notamment à certaines valeurs humaines. Un discours typique pour flatter l’Ego du général et confirmait ce qu’il pensait déjà de son propre peuple.
Mandela avait bien compris que les impulsions fondamentales qui animaient les fondateurs de l’Afrikaner Volksfront étaient la culpabilité et la peur. Ils craignaient la vengeance du peuple noir s’ils leur cédaient trop de pouvoir. Viljoen déclama « Mandela conquiert tous ceux qui font sa connaissance » comme Bill Clinton avait dit après lui. Madiba sait repérer les zones de vulnérabilités de ses interlocteurs et trouve toujours un moyen de les rassurer. Durant toute l’entrevue il lui avait parlé en Afrikaans pour montrer subtilement au général qu’il le considère lui et son peuple et qu’il n’entend pas effacer cette culture de la surface de la terre. C’est en prison qu’il apprit cette langue afin de comprendre l’esprit des Afrikaners et leur façon de penser. Il s’intéressa également de très près à leur histoire. Son plan était déjà tout tracé.
C’est de cette manière que Mandela est devenu « Le roi » de la prison de Robben Island. Il su gagner la confiance, l’admiration puis l’amitié de ses geôliers. Ce lieu carcéral devient un véritable laboratoire pour ses expérimentations en matière de persuasion politique. L’un de ses gardiens s’était tellement pris d’affection pour Mandela qu’il refusa une promotion dans un autre établissement afin de rester à ses cotés.
L’entreprise de séduction a marché également sur Kobie Coetsee, avocat Afrikaner et homme politique ainsi que Niel Barnard, chef des services de renseignement. A eux deux ils ont rencontré près de 80 fois Mandela avant sa libération. Ils déclareront 10 ans plus tard après leur première rencontre qu’ils étaient convaincus que Mandela serait un jour président de l’Afrique du Sud.
Afin de totalement convaincre Viljoen, il prit l’initiative en 1994 de créer un nouvel hymne national. L’ancien hymne de la République blanche, un air martial qui célébrait la conquête de l’Afrique australe par les colons européens, devait être remplacé par l’hymne officiel du mouvement de libération noir. Il prit tout le monde à contre-pied et choisit de garder les deux hymnes et de les chanter à la suite l’un de l’autre.
En 1994, Mandela fût élu président avec 62,65% des voix avec les deux tiers du parlement qui étaient membres de l’ANC. Viljoen obtient un siège et son parti a recueilli un tiers du vote Afrikaner. 12 ans plus tard il avoua à l’auteur éprouver de l’affection et du respect pour Mandela. Tout comme De Klerk, il avait conservé les mêmes idées durant l’essentiel de sa vie mais avait eu le courage moral de s’adapter et de faire l’effort de changer d’avis.
Chapitre 6 : Un héros pour son valet
Zelda la Grange est entrée dans la vie Mandela quant elle avait 23 ans et lui 76. Ils sont restés inséparables. Elle était tout d’abord son assistante personnelle durant sa présidence puis continua à l’aider à travers divers statuts lorsqu’il se retira de la vie politique. A la fois majordome, secrétaire, porte-parole, confidente, aide de camp elle est la personne qui a passé le plus de temps avec Mandela durant ses 18 dernières années.
Cette grande blonde Afrikaner au caractère affirmait fît la connaissance de Madiba en 1994, quatre mois après son élection. Elle venait d’être embauchée depuis seulement quinze jours dans l’équipe de Dactylos des bâtiments de l’Union. Zelda éprouvait un sentiment de culpabilité qui hantait de manière latente tous les Afrikaners.
Le lendemain de son investiture il convoqua l’ensemble du personnel blanc déjà en place et les garda en intégralité. L’un de ses employés blanc de l’époque déclara à John Carlin qu’il était le seul à l’appeler par son prénom parmi les présidents qu’il avait servi. Mandela avait subjugué tout le personnel. Il prenait régulièrement de leurs nouvelles, dès que l’un d’eux tombait malade il s’enquérait de leur santé. Il avait toujours un geste ou une pensée pour eux.
On dit parfois qu’aucun homme n’est un héros pour son valet de chambre. Ce dicton ne vaut pas pour la relation entre Mandela et John Reinders, pas plus que pour celle qu’il entretenait avec Zelda La Grange. Mandela était très à cheval sur la ponctualité et n’était pas rancunier. Pour preuve, il invita régulièrement aux réceptions de la résidence présidentielle la veuve d’un ancien premier ministre qui a excercé entre 1958 et 1966 et qui était un farouche opposant au mouvement de libération. C’est à cette époque que Mandela avait décidé de prendre les armes et qu’il avait été emprisonné.
Mandela avait de très bonnes relations avec les principales figures politiques de la scène internationale. Bill Clinton l’admirait et il nouait une relation toute particulière avec la Reine d’Angleterre si bien qu’il l’appellait par son prénom. C’était probablement le seul avec son Mari qui avait droit à ce privilège. Alors oui, tout ce déploiement de charme répondait souvent à un froid calcul politique mais il semble vraisemblablement que la ligne qui sépare le calcul et la spontanéité chez lui est tellement fine qu’elle en devient imperceptible. Tout porte à croire que la générosité qui émanait de lui était intrinsèque à l’homme qu’il était.
Mandela n’a jamais oublié ceux qui l’avaient traité avec bonté. Il est si généreux, que ça se voit dans l’intérêt qu’il porte aux gens ordinaires. Quand il vous demande comment va votre père ou votre mère c’est qu’il désire sincèrement le savoir.
Chapitre 7 : Les larmes des Springboks
Le 24 Juin 1995 l’Afrique du Sud remportait chez elle la première coupe du monde de Rugby de son histoire. La finale qui se déroulait à Johannesburg était jusque là un lieu uniquement accessibles aux blancs. Depuis ce jour, il devint un véritable monument en hommage à l’unité nationale.
Voir le film « Invictus » : https://www.youtube.com/watch?v=PEO6-fe9qPA
Plus qu’un simple enjeu sportif, cette compétition était un véritable évènement politique majeur. Cette victoire sur bien des aspects était le moment le plus heureux du mandat de Mandela.
L’auteur l’interviewa en Août 2001 alors qu’il avait 83 ans et qu’il n’était plus en poste depuis 2 ans. Cette fois-ci la domestique qui lui serva le thé était noire. Mais c’était une femme qui appartenait au clan Buthelezi. L’entretient reprit son cours et l’ex président déclarait qu’il voyait le Rugby comme un instrument politique puisqu’il s’agissait là aussi d’un domaine complétement ségrégué sous l’apartheid.
Source de fierté pour les blancs mais détestait par les Noirs qui soutenaient les adversaires, l’équipe de Springboks divisait plus qu’elle ne rassemblait. Mandela appuya donc l’organisation de la coupe du monde de Rugby à domicile mais il savait qu’il fallait obtenir le soutien des Afrikaners pour qui ce sport est une religion. La réaction initiale fût très négative.
Au sein de l’ANC ce fût également très délicat. La veille de la demi-finale face à la France il avait été sifflé par son propre camp lorsqu’il les a encouragé à soutenir les Springboks durant un meeting politique. Alors il les a sermonné et leur a dit « Pour construire cette nation, tout le monde doit payer le prix, les blancs aussi bien que nous. Le prix que payent les blancs, c’est la déségrégation de toutes les activités sportives ; et le prix que nous avons à payer de notre côté, c’est de soutenir sans réserve l’équipe de Rugby nationale ». D’un rire étouffé il conclut par « Je les ai mis dans ma poche ».
En marge d’un documentaire inspiré de son livre « Invictus » John Carlin est allé rencontrer Koos Botha – à ne pas confondre avec son homologue qui était président – Il était le classique Afrikaner d’extrême droite, mais c’était aussi un authentique terroriste bien qu’il n’ait pas fait de victimes. Tout d’abord membre du parti national il le quitta au milieu des années 1980 pour le parti conservateur, une organisation encore plus ouvertement raciste.
Selon lui, le président Botha était trop laxiste avec les noirs. Élu au parlement, il fut scandalisé par la libération de Mandela. « A l’époque, je ne comprenais absolument pas pourquoi il n’avait pas été pendu » disait-il à John Carlin. Sa haine et son sentiment du devoir le poussa en 1991 à poser une bombe dans une école auparavant exclusivement réservée aux blancs mais désormais prête à accueillir des enfants des dirigeants de l’ANC en exil.
Prenant conscience de sa folie et relâchée sous caution par la police il prit part à une réunion avec Mandela et une délégation de politiciens afrikaners de droite tentés de rompre avec leur passé extrémiste. Mandela était au courant de ses agissements et pourtant, il leur parla dans leur langue en démontrant une attitude de respect.
Botha pleurait en racontant cet épisode, il avait eu le même impact sur lui que sur Coetsee, Barnard, Viljoen lors de leurs premières rencontres. Plus que ses paroles et son attitude c’est les actes de Mandela qui mis un terme définitif aux tentatives de sabotage de Botha. Le fait qu’il ait gardé l’ancien Hymne national Afrikaans et qu’il avait, peu de temps avec son élection, obligé son public majoritairement noir a chanté cet hymne l’a convaincu de déposer les armes. Mais c’est la finale de la Coupe du monde ou il fût ovationné par le peuple blanc qui a fait définitivement pencher la balance.
La magie de Mandela opéra également sur le Capitaine François Pienaar avec qui il avait désormais un but commun. Remporter la coupe du monde et créer l’adhésion totale du peuple sud-africain en promouvant l’inclusivité à travers plusieurs actions publicitaires.
Il n’y avait qu’un seul noir dans l’équipe nationale et pourtant une fois arrivé en finale les Noirs d’Afrique du Sud apportèrent leur soutien à l’équipe nationale, comme il l’avait prédit. C’était la première fois depuis l’arrivée des colons blancs en 1652 que les deux communautés étaient unis derrière un seul objectif commun.
Lorsque Mandela apparaissait sur le terrain avec une casquette des Springboks et le numéro 6 du capitaine François Pienaar sur le dos, la foule entière d’abord surprise lui réserva ensuite une ovation légendaire. Son geste si fort en symbolique avait conquis le coeur des 90% des blancs qui étaient dans le stade qui hurlaient à pleins poumons « Nelson ! Nelson, Nelson ! ». Et ce fût encore le cas lorsqu’il descendit du terrain pour remettre la coupe au capitaine.
Partout en Afrique du sud les gens étaient dans la rue, dans les quartiers noirs ou blancs. Ils se prenaient dans les bras et s’embrasser sans faire de distinction. C’était sa plus grande fierté, le plus beau jour de sa carrière politique et probablement aussi le plus bouleversant sur le plan personnel.
Chapitre 8 : Magnanimité
John Carlin revoyait Nelson Mandela pour la dernière fois en Décembre 2009, il avait alors 91 ans et était très fragile. Son ouïe avait baissée, sa mémoire à court terme défaillait et son esprit divaguait de façon erratique. Quant à Zelda La Grangre, elle s’occupait toujours de lui.
Quels étaient les ingrédients qui le rendaient aussi irrésistibles aux yeux de tous, y compris ses anciens ennemis ?
– 1er : Son intégrité inébranlable. Pas de tartuferie chez lui, la générosité était l’un de ses traits de sa personnalité
– 2ème : Le respect qu’il avait pour tout le monde, peu importe leur statut social. Il savait en plus flatter
– 3ème : Son charisme. Il inspirait le respect et l’admiration. C’est un leader naturel doté d’une énorme assurance
– 4ème : Une extraordinaire capacité d’empathie. Il remarque les zones de vulnérabilité et sait rassurer
En plus de cela, il était nanti d’un pragmatisme à toute épreuve jusqu’à pactiser le diable pour avoir gain de cause. Il était également ami avec Muammar Kadhafi qui avait donné de l’argent à l’ANC dont les finances étaient piteuses. Mandela faisait ce que l’Israël et la Palestine n’ont jamais réussi à faire sur la durée, c’est à dire des compromis dans une logique de donnant-donnant.
Peu avant l’incarcération de Mandela, un autre groupe politique, le PAC (Le Congrès panafricain) était en concurrence avec l’ANC. Leur slogan belliqueux est sans appel : « Un colon, une balle ». Si cette organisation avait eu un leader du niveau de Nelson Mandela, il est probable que l’histoire de l’Afrique Du Sud aurait été toute autre. Ce sont finalement les tendances pacifiques des Noirs sud-africains qui ont prévalu sur leurs impulsions vengeresses, grâce aux efforts de Mandela qui n’hésitait jamais à saluer ses soutiens, ce en quoi rien n’aurait été possible.
Pour autant tout n’est pas à rose. Aujourd’hui l’Afrique du Sud bat des records de corruption, la criminalité est très élevée et les chiffres de l’éducation ne sont pas bons. Cela n’enlève en rien l’héritage laissé par Mandela et le fait qu’il a accompli sa mission avec brio en répondant aux besoins de son époque. Il a évité la guerre civile et construit une démocratie qui reste stable malgré les difficultés de gouvernance.
Enfin pour conclure ce livre, John Carlin qui a appelé son fils James Nelson en hommage à ce grand homme retient particulièrement deux choses de lui : 1-) La générosité ; 2-) Un homme politique peut également être un homme exceptionnel dans la vie. Quant à l’archevêque Desmond Tetu il résume Mandela en un seul mot « Magnanimité ».
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